Marketing du luxe : Le paradoxe des marques de luxe en ligne : comment leur marque devient leur plus grande faiblesse
Quand on parle marketing du luxe, marque et luxe sont souvent associés. La puissance de la marque, sa valeur, tous les messages qu’elle véhicule sont des assets très valorisés dans le secteur du luxe. La valeur d’une entreprise du secteur du luxe est souvent liée à la valeur de sa marque. Des investissements colossaux sont engagés pour promouvoir et défendre les marques. Mais à trop se concentrer sur la défense de sa marque, ne prend-on pas trop de risques ?
Marketing du luxe : la stratégie digitale des marques de luxe
Depuis 15 ans je suis intervenu à plusieurs reprises dans le secteur du luxe, que ce soit pour des marques établies, des nouveaux acteurs (start ups) ou pour des investisseurs qui avaient besoin d’une vision globale plus transverse en analysant plusieurs acteurs d’un segment (forces, faiblesses, risques).
Les stratégies digitales des différentes marques que j’ai analysées sont toutes très semblables : quasiment tout l’effort marketing / communication est investi autour de la marque : 1) la marque 2) la marque 3) la marque. Et que ce soit pour la communication, le marketing ou l’acquisition on line.
Une marque forte, ce sont des consommateurs qui veulent vos produits et qui vont directement aller sur vos espaces digitaux. Parfois ils désirent tellement un produit d’une marque (« je veux le dernier…. ») qu’ils ne vont même pas aller voir ailleurs et qu’ils y mettront le prix qu’il faut.
Les chiffres ne trompent pas, quand on regarde la part de trafic brandé issue des moteurs de recherche vers les sites marchands du luxe (10 marques dans le Top 50 mondial), voici ce que cela donne :
Le trafic brandé correspond à toutes les demandes des internautes qui font des recherches qui contiennent le nom de la marque.
Marque A : chanel 95.9%
Marque B : dior 94.8%
Marque C : lv 95.9%
Marque D : gucci 97.7%
Marque E : hermès 94.8%
Marque F : cartier 96.6%
Marque G : rolex 93.2%
Marque H : estée lauder 92.2%
Marque I : prada 98.3%
Marque J : YSL 97%
On ne va pas sur leurs sites par hasard ou en recherchant un article. On y vient parce qu’on sait déjà qu’on veut un produit de la marque. Ces sites sont des espaces transactionnels, où on vient passer commande ou s’informer. Ce ne sont pas des lieux d’acquisition de nouveaux clients.
Mais s’il est assez évident qu’avoir une marque forte est un formidable asset, tout miser sur la marque est aussi un pari très risqué.
La marque : une faiblesse pour les marques de luxe en ligne
Il y a quelques jours, j’ai été contacté par Diane (prénom changé) au board d’une marque de luxe iconique et mondiale. Son problème : l’activité ecommerce en France est en chute de plus de 50% depuis 2 ans (elle est stable au niveau mondial). Cela représente plusieurs millions d’euros en manque à gagner chaque année.
Personne en interne n’arrive à l’expliquer.
Mon audit fait ressortir 2 points. Tous les 2 sont les signes d’une trop grande dépendance à la marque.
Marketing digital des marques de luxe : trop de dépendance au trafic brandé
Comme toutes les autres marques, l’acquisition du site e-commerce se fait à plus de 98% sur des requêtes de marque. Le site n’attire que des internautes en recherche de produits de la marque. Le rapport peut aller de 1 à 50. Sur certains articles, il y a 50 fois plus de demandes non brandées que de demandes brandées à la marque. Le site ecommerce capte 80% de la demande brandée. Mais pas 1 visite ne vient de la demande sans marque.
Trop se concentrer sur sa marque, c’est aussi le meilleur moyen de se priver de la grande majorité des internautes qui font une recherche plus générique, sans marque, correspondant simplement à leur besoin.
Plusieurs études : Google, Ipsos, Havas, Nielsen, HBR, Forbes, Accenture, Financial Times… le montrent : les internautes sont de plus en plus « brand agnostics ». Si certains veulent un accessoire d’une marque précise, ils sont nettement plus nombreux à chercher l’accessoire sans l’associer à une marque.
Quand chaque mois, en France, 112 000 internautes cherchent un sac à main, seulement 7 900 (7%) cherchent un Vuitton, 3 400 (3%) un Hermès et 5 700 (5%) un Chanel. Quelle est la probabilité d’arriver sur leurs sites quand on cherche un sac à main ? Elle est nulle. Aucun de ces sites n’apparait dans les 5 premières pages de résultats.
Alors certes, tous les internautes qui cherchent un sac à main ne finissent pas par acheter un Vuitton, un Hermès ou un Chanel, mais là, il est clair qu’aucun de ces consommateurs n’arrivera sur l’espace ecommerce d’une de ces marques.
On peut se dire qu’une recherche simple de sac à main est trop large pour le luxe, que c’est un investissement qui ramènera surtout des internautes qui ne seront jamais clients et que les marques de luxe doivent donc se limiter à cibler une recherche de sac à main de luxe. La situation n’est pas différente puisque si on trouve rapidement Dior ou Vuitton, la « grande marque » suivante est Gucci, qui n’arrive qu’en 5° page. Autant dire que personne ne va jusque-là.
Partons sur une hypothèse basse de sac à main à 2 000€.
Il y a 112 000 demandes par mois en France.
Si un site ecommerce capte 10% de cette demande, cela fait 11 200 visiteurs par mois. L’ecommerce est en moyenne à 3% de conversion, cela fait plus de 8 M€ de CA additionnels par an (11 200*3%*2000*12). Uniquement sur les sacs à main. Comme la situation est la même pour les autres accessoires : montres, lunettes, parfums, maquillage, souliers… Cela peut commencer à représenter un manque à gagner conséquent.
Se tourner vers son marché, écouter ses clients, analyser leurs comportements d’achat est un moyen simple de développer son CA et de réduire sa dépendance à la marque et à l’évolution de la notoriété, puisque c’est là qu’est le 2° risque.
La marque de luxe face à une baisse de la demande
Il y a, en effet, un autre danger à trop concentrer ses efforts et ses investissements dans la marque : la baisse de la demande. La marque n’est plus dans l’actualité ni sur les tapis rouges, une autre marque a émergé, les collections séduisent moins, elle n’est plus à la mode… Peu importent les raisons : il y a moins de demande.
Pour la marque de Diane, la chute depuis 2 ans est très forte. La demande en France est passée de 350 000 par mois (sur la marque seule) à 160k : plus de 50% de baisse.
Tant que la marque est présente à l’esprit du consommateur, qu’elle est Top Of Mind, tout va bien. Quand elle perd cette position fragile, cela devient plus difficile, surtout quand tout l’investissement marketing et toute l’acquisition en ligne ne reposent que sur la marque.
Malheureusement, on ne maîtrise pas comment les consommateurs (produits grand public) ou les pros (BtoB) vont percevoir une marque ni comment le lien entre une marque et ses communautés va évoluer. On est sur des sujets émotionnels, intangibles et donc par définition très fragiles voire volatiles, comme me le confiait récemment une autre dirigeante.
Alors qu’en diversifiant ses investissements et en se tournant vers une approche plus pull et qui repose sur les besoins et les attentes du marché, on limite son risque.
Et si on investit trop massivement sur les sacs à main et que plus personne ne veut de sac à main, on peut se reposer sur d’autres accessoires. Alors que si on si on ne se repose que sur la marque et qu’elle passe de mode, on n’a pas de relai de croissance à activer.
Stratégie digitale d’une marque de luxe : Que peut donc faire Diane ?
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Continuer à investir en SEA.
Si de nombreuses marques investissent peu en SEO, elles sont très présentes en SEA.
Le SEA est hyper efficace car il est souvent proche de la transaction. Un internaute qui cherche sac à main marque A est probablement plus proche de l’achat que celui qui cherche sac a main. Mais il peut aussi simplement vouloir avoir un prix, voir la dernière collection, vérifier un détail ou une couleur…
En revanche, la limite du SEA c’est que cela peut être un puits sans fond et que cela peut vite devenir un piège : dès qu’on arrête d’investir, on disparait. A la seconde où la campagne s’arrête, la marque disparait des écrans. Et si on reprend quelques temps plus tard, on ne capitalise que peu sur la campagne précédente. On n’a aucune traction liée à l’historique. Une courbe d’expérience en interne, mais aucun bonus du côté de la plateforme utilisée. Sans compter que c’est un univers qui peut être sans foi ni loi, où on doit souvent enchérir sur sa marque puisqu’elles ne sont pas protégées. Rien n’empêche la marque B d’enchérir sur la marque A pour essayer de capter une partie des internautes qui la cherchent (on peut payer pour positionner son annonce sur la recherche d’une marque concurrente si on ne cite pas cette marque dans l’annonce et si on n’essaie pas de se faire passer pour elle) :
Extrait des règles de Google :
- « Google n’est pas en mesure d’arbitrer les éventuels litiges entre les annonceurs et les propriétaires d’une marque ».
- « Nous ne limiterons pas l’utilisation de votre marque à moins que vous ne déposiez une réclamation valide. »
- « Nous n’effectuons pas de vérifications concernant l’utilisation de marques comme mots cléset ne limitons pas cette utilisation. »
Renforcer son investissement dans sa marque.
C’est ce qui se fait souvent, mais les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous. On ne décide pas de l’attrait des consommateurs pour une marque. Cela ne se décrète pas. On reste à la merci d’un bad buzz, d’une collection qui ne prend pas, d’un nouvel acteur disruptif… Sans compter l’évolution du comportement du consommateur : « 77 percent of brands could disappear and no one would care» (Havas); qui est de moins fidèle « Fewer than 23 percent of consumers say that they have a relationship with a brand » (Harvard Business Review), surtout chez les plus jeunes, les consommateurs de demain : « Only 7 percent of millennials identify themselves as brand loyal ».
Marketing du luxe : Développer un marketing digital customer centric
C’est la 3° possibilité, celle que je lui ai recommandée : prendre en compte cette évolution du comportement du consommateur et réduire le risque d’une trop grande dépendance à la marque.
Cela commence par une analyse de la demande, c’est-à-dire une analyse des recherches que les internautes font dans les moteurs de recherche. Je ne parle pas des quelques bribes d’infos données par les outils gratuits de Google ou par des solutions payantes que beaucoup de prestataires utilisent. Je parle d’une vraie analyse, exhaustive et qui va reposer sur le traitement et l’analyse de dizaines de milliers de demandes.
C’est une approche très pull du marketing digital. Nous l’avons mise en place chez la plupart de nos clients, et les résultats sont au rendez-vous. Quand vous faites du Pull sur un marché ou tout le monde fait du push, c’est plus simple de faire la différence.
Cela permet d’être au plus près de ses consommateurs et de se différencier de ses concurrents.
Cela permet de comprendre son comportement et de capter des insights que personne d’autre ne prend en compte.
Gros avantage de l’approche, on peut estimer dès le départ le chiffre d’affaires additionnel qu’on peut aller chercher.
On en parle : cyril.bladier@business-on-line.fr
06 42 67 30 43